Tahar Djaout : mourir pour ses mots

Né en 1954 à Azeffoun, un petit village de Kabylie bordé par la Méditerranée, Tahar Djaout, journaliste, poète et écrivain algérien, a grandi dans un univers multilingue : berbère à la maison, arabe dans la rue, français à l’école. Très tôt, il maîtrise les trois langues et se passionne aussi bien pour les mathématiques que pour la poésie. Après des études à l’Université d’Alger, il rejoint en 1976 la rédaction de l’hebdomadaire Algérie-Actualité, dont il devient rapidement le rédacteur en chef.
En parallèle de sa carrière de journaliste, Djaout publie quatre romans en français entre 1981 et 1991. Il y explore des thèmes essentiels : la mémoire, l’identité, la violence, le fanatisme et la liberté individuelle. Son œuvre témoigne d'une profonde lucidité sur l’Algérie post-coloniale et d'un réel courage face à la montée de l’extrémisme.
Un combat pour la liberté
Dans L’Exproprié (1981), il évoque avec amertume la perte de l’héritage culturel berbère, conséquence directe de la colonisation. Avec Les Chercheurs d’os (1984), qui lui vaut une reconnaissance internationale, il met en lumière une Algérie en deuil, glorifiant ses martyrs tout en négligeant les vivants.
Mais ce sont surtout L’Invention du désert (1987) et Les Vigiles (1991) qui frappent par leur audace politique. Djaout y dénonce le fanatisme, la tyrannie, la négation des droits humains et l’absurdité d’un monde bureaucratique déshumanisé. Il écrit à contre-courant, dans un climat de plus en plus tendu où la parole libre devient dangereuse. Sa vision lui coûtera la vie.
Écrire contre l’obscurantisme
Le 2 juin 1993, Tahar Djaout est assassiné à Alger par des islamistes radicaux alors qu’il se rendait au travail. Il avait 39 ans. Il n’avait jamais levé une arme, mais sa plume dérangeait. Elle était jugée « redoutable » par ceux qui prétendaient parler au nom de Dieu.
À sa mort, on découvre un roman posthume sur son bureau : Le dernier été de la raison. Boualem, le personnage principal, est un bouquiniste dans un pays tombé aux mains de fanatiques religieux. Les livres y sont interdits, les enfants embrigadés, la pensée muselée. Comme son créateur, Boualem mourra pour avoir voulu préserver un espace de liberté.
Le livre est une fresque visionnaire, résonnant fortement avec les dérives totalitaires du monde contemporain. C’est aussi un hommage au pouvoir des mots et à la résistance par la littérature.
"Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs."
— Tahar Djaout
By Danielle Schanz, President of the Board